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Histoire de plume, plume de lune
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4 mars 2012

QU'Y A T-IL DANS L'ART? Petite approche de l'art tout en rapprochements - 6ème partie

 

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9+Turner-pluie-vapeur+et+vitesse

Pluie, vapeur et vitesse – le Grand Chemin de fer de l'Ouest. William Turner, 1844, 91x121,8, Huile sur toile Londres National Gallery


 Il y a cette locomotive noire, aveugle et pourtant comme dirigée par un oeil lumineux, qui semble prendre sa vitesse à la fois de cette pente oblique du pont aux flancs rousseâtres sur lequel il trace vers nous son droit chemin et de toute l'orgie de lumière, de tout cet embrasement doré dans l'air pluvieux et vaporeux, et sur l'eau où, minuscule et contrastante flotte une embarcation qui a pour horizon un autre pont, lui aussi doré cependant qu'estompé, et quasiment perpendiculaire à celui qui bondit vers notre oeil sous un ciel mêlant les violacés et les ors et une blancheur nimbeuse.
 

  Et il y a cette automobile,

l'une des premières en circulation qui témoigne d'un temps d'ivresse par la prise de vitesse que prend la technologie et celle que ses progrès font prendre dans le quotidien des hommes. Après le train au premier quart du XIXème, les avions et les autos au début du XXème. Mais la photographie, miracle de la fin du XIXème qui a révolutionné la peinture avec Degas, par exemple, et a été précurseur du cinéma qui suivra logiquement, est là surtout pour témoigner d'elle-même et de ses possibilités. Nouveau moyen d'expression artistique, la photographie est ivresse. Ivresse de la quête de sujet, ivresse de l'attente du moment révélateur, ivresse de l'instant, ivresse et suspense du développement. Si il y a un photographe qui incarne par excellence tout cela, c'est Jacques-Henri Lartigue (1894-1986) qui tout enfant partait en chasse d'images avec son appareil, oh, pas bien loin, juste dans son entourage quotidien. Chez lui, la quête de lumière est secondaire, c'est le mouvement, la vie, vitesse ici, qu'il veut saisir.

 

 

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 Il y a la photo en noir et blanc, sublime, d'une petite fille asiatique comme en prière dans sa position accroupie, prise par le photographe dans un instant de grâce, avec des yeux noirs incroyablement animés par une vision intérieure, méditative, une lumière faite d'un mélange indécis d'eau, de feu, de cristaux, d'aurore boréale qui y danse et affermit sa présence; alors même qu'on peut y voir le reflet d'une image extérieure, qu'on devine un visage – celui du photographe? – mystère –,  mais la présence de celui-ci s'efface devant cette beauté nus pieds et qui affirme d'autant plus sa prestance, sa maturité étonnante – loin de l'image de l'enfant ignorant – par le port de boucles d'oreilles – ajoutant à l'élégance de sa parure simple et royale à laquelle manque seulement leurs vives couleurs éminemment suggérées.

 

  (Petite cambodgienne?) Photo de Kim Anderson

 

 Et il y a...

Aurore océane

Aurore océane ou Océane - Stéphanie Weldon-Dutilloy, décembre 2010 - janvier 2011 - pastel sec H:70, L:50.  Merci à l'artiste de son autorisation de publication

 

...cette heureuse et merveilleuse inspiration d'une artiste qui tout en lui rendant hommage la transfigure, lui apporte une dimension personnelle, mais aussi cosmologique et intemporelle de façon extraordinaire, évidente et qui n'a pas moins demandé l'instant de grâce dans  l'inspiration, le lâcher prise en amont ou en aval ou les deux à la fois d'un premier état sans doute moins éloquent. Elle semble révélée comme au développement d'une photo. Et elle apparaît comme un jardin de cristaux que recèle en son sein une roche. Et sous nos yeux, c'est un miraculeux éclat de couleurs: améthyste, rose de cristal, or, bleu...  Cette couleur de peau est celle de Krishna, celle de dieux égyptiens et, paraît-il, l'un et l'autre seraient des resurgeance du peuple Atlante, qui seraient associés à l'Atlantique, mais d'origine vénusienne comme dans le film Avatar... Mais le bleu vêt souvent la Vierge Marie, on le trouve chez plusieurs peuples cette coutume de se peindre la peau en bleu et dans plusieurs régions on parle de "sang bleu" (aux environs de Goulémine, au sud d'Agadir; les pictes d'Ecosse...). Il est la couleur céleste, spirituelle. Revenons à cette petite fille qui fut nommée Aurore puis Océane par son auteur et dont l'origine photographique est totalement transfigurée sous nos yeux. Elle est aussi centrée que sa "jumelle" réaliste, et pourtant, bien qu'elle ait été fixée au pastel et non sur un film photographique, elle nous semble tout autant présente et de façon peut-être plus universelle, et plus actuelle – ou du moins plus vive,  inversement proportionnelle au lointain de son origine « extraterrestre », qui peut être vue comme sa manifeste origine spirituelle, d'un point de vue purement symbolique. Fixation miraculeuse d'un être existant dans l'invisible et voulant s'incarner, et ferait de cette oeuvre un accouchement à dessein? reflet du désir d'une mère d'avoir un enfant dit "indigo"? C'est une enfant qui à l'instar de ces enfants appelés « indigos » -  réalité ou produit d'un imaginaire "New Age", à chacun de voir - est centrée, ferme, juste, clairvoyante, connectée à la Source, et qui dans sa méditation voit bien et loin...
 Mais au fond, la petite fille de la photo et celle du pastel sont humaines, terrestres et célestes à la fois; elles sont des enfants, soulignons-le, que rend manifeste l'imbrication des doigts, un peu « gauche », bien enfantine, et la frange droite de leurs cheveux un peu raides, un peu ébouriffés, avec ça et là, on peut le deviner, quelques épis. Enfin, les deux nous renvoient au Silence créateur.

 

Pour approfondir l'interprétation de la couleur bleu de la peau (séléctionnez le lien et cliquez sur "ouvrir le lien"):

http://novusordoseclorum.discutforum.com/t4069-les-lignees-de-sang-bleu

http://nousnesommespasseuls.xooit.com/t543-Les-hommes-bleus.htm

Pour revenir sur terre de belle façon, en compagnie d'un "homme bleu" (Touareg):

http://youtu.be/8zOL5pqjQ-g

 

 

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Le baiser art natoufien

 

Il y a le baiser  en os de l'art natoufien  dont les jambes s'entrelacent étrangement et ne semble guère réaliste, mais quelle expressivité, comme cette main d'un des deux amants qui vient tendrement se poser sur la joue de son partenaire, comme pour rapprocher leurs bouches ou intensifier leur baiser fondu dans la matière comme leurs corps ne faisant plus qu'un. On songe au passage biblique: "Alors l'homme (il s'agit d'Adam) dit (en parlant d'Eve) celle -ci est enfin l'os de mes os et la chair de ma chair." (Genèse 2: 23). Sauf qu'ici, ce sont les deux partenaires qui se le disent l'un l'autre. Et c'est bien une image pouvant représenter "le premier couple humain". Leur ancienneté (12500- 11000 av JC) les en rapproche. D'autant plus que datant du néolithique, vivant de chasse et de ceuillette (Adam et Eve il est vrai, ceuillaient seulement, d'après la Genèse) et découvert en Palestine, (qui est quand même loin du lieu présumé du jardin d'Eden, il est vrai aussi.). La culture natoufienne, elle, n'a sans doute voulu représenter qu'un symbole de fertilité. Quoi qu'il en soit, elle est sans doute la première représentation d'un couple enlacé et d'un baiser de l'humanité.
 Et il y a Le Baiser en pierre de Brancusi  au XXème siècle.

Le Baiser, Brancusi, 1930; une des cinq versions qu'il en ai faite, la première datant de 1923.

 

Brancusi, qui s'est détaché volontairement de Rodin (on ne pousse pas à l'ombre des grands arbres, dit-il) ne connaissait sans doute pas son véritable rival et semblable dans la facture de son oeuvre. Ici la pierre paraît faire aussi un seul bloc. Pourtant divisée franchement, mais finement en deux, dans un face à face brut et intense, la symétrie est quasi parfaite. Les paupières, les lèvres se rejoignent, les bras s'enlacent parallèlement, leurs cheveux semblables forment sur leur front unis un arc de cercle. On distingue, comme dans la statuette natoufienne, l'homme de la femme. Pourtant, la femme n'a pas plus de poitrine que l'homme, mais son visage est nettement féminin. Alors qu'on ne distinguait dans la précédente les deux sexes que par la sujestion de la femme à califourchon sur son amant.

 

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Il y a Cette Nativité qui est celle que j'ai trouvé qui se rapprochait le plus de celle décrite par Annick de Souzenelle dans Le symbolisme du corps humain:

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 La Nativité, Guido Da Siena, vers 1270 - retable (bois) - 36x48

« Une très ancienne icône de la Nativité représente la Vierge étendue sur sa couche au fond d'une grotte. Tout est sombre dans la grotte, ténèbres de la Terre, à l'exception de cette tâche lumineuse qui contient la Vierge, sa couche, et au centre, l'Enfant Dieu. Cette tâche lumineuse a le dessin d'une oreille. Un cordon ombilical, lumineux lui aussi, relie le Verbe couché au fond de l'oreille au sommet de la caverne, le Ciel »

(Le symbolisme du corps humain , p 361)

De même le prophète Elie se retira dans une caverne pour écouter, ajoute t-elle.

Le "cordon ombilical" est peut-être plus manifeste dans d'autres icônes telle que celle où on voit un gros rayon blanc descendre de la lune, mais on reste en-deça de la description faite par Annick de Souzenelle.

Plutôt que de s'étendre sur ce détail, portons notre attention sur d'autres. La vierge et sa couche ressemblent à l'oreille externe (conduit auditif et pavillon), quant à l'enfant Jésus, il symbolise l'oreille interne. L'âne, à peine visible ici veille sur lui. Cet animal est hautement symbolique par ses grandes oreilles faites pour entendre (le bonnet d'âne y invitait leurs porteurs à l'origine). Il veille communément sur l'enfant aux côtés du boeuf dont les cornes sont comme des antennes...On remarque aussi en bas un chien blanc. Cela nous rappelle la constellation du Chien qui se trouve à côté du soleil au moment où il est à son zénith. Aussi dans l'iconographie chrétienne on trouve des hommes à tête de chien à la droite de la tête du Christ en gloire, signifiant qu'il a traversé les enfers (affronté le Cerbère grec): voilà peut-être pourquoi il est ici en bas, mais juste en-dessous de la caverne de "gestation" en tant symbole du potentiel de lumière que l'Homme incarné dans la matière et naissant des ténèbres contient, en un mot de sa totalité.

 

 Et il y a la Madone Sixtine de Dali

 

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La Madonne Sixtine, 1958 - Salvador Dalí (Spanish, 1904-1989)  - huile sur toile 225.7 x 191.1 cm) Metropolitan Museum of Art, New York

Pour  voir plus en détail : http://www.flickr.com/photos/wallyg/2223108026/in/photostream/

Dali commente lui-même "Tableau presque gris qui, vu de près, est une abstraction ; vu à deux mètres, il devient la Madone Sixtine de Raphaël ; à quinze mètres appa-raît l'oreille d'un ange mesurant un mètre et demi qui, peinte avec l'anti-matière, est donc pure énergie. Idée alchimiste de l'oreille. Idée rabelaisienne de la naissance par l'oreille".

 Voici d'abord le tableau de Raphaël: on remarquera et peut-être de manière plus flagrante l'oreille externe (Vierge Marie) portant l'oreille interne (l'enfant Jésus). Remarquable comme Raphël donne à la coiffe descendante de Marie la forme d'un pavillon! Dali retient du tableau que cette partie pour l'intégrer dans le conduit auditif . De même qu'on a un tableau dans le tableau, on a une oreille dans l'oreille.

 

Partie sur laquelle s'est concentré Dali.

Le tableau de Dali est finement commenté par André Bouguénec (http://www.matiere-esprit-science.com/pages/breves/oreille.htm) Tout en y puisant l'essentiel, j'ajouterai à son interprétation par la lecture parallèle du Symbolisme du corps humain et par ma lecture personnelle de l'évocation de Rabelais qui diffère de celle donnée dans la symbolique donnée à l'oreille de la Madone.

L'oreille d'un ange renvoie à l'étymologie d'ange: "messager". Aussi l'oreille doit pouvoir décoder les messages qui lui sont transmis, tant à l'extérieur qu'à l'intérieur.

L'anti-matière serait, ce qui est caché, l'invisible, l'Esprit, ce qui révèle la matière et sa raison d'être - mais qui demande un effort: il faut accepter de reculer de quinze mètres.. (chiffre symbolique). Il est révélateur que le tableau ressemble à une trame de canevas nous montrant "en filigrane", de manière floue, le motif sur lequel il ne reste plus qu'à tisser pour le révéler dans sa pleine matière: c'est de "la pure énergie", nous dit Dali. C'est la puissance de l'atome qui explose ici sous nos yeux...

 Pour le rapport de Rabelais à l'alchimie il faut se pencher sur le texte de Rabelais, ce qu'oublie de faire André Bougénec. Sous des airs de gaudriole scatologique, L'humaniste de la Renaissance François Rabelais rejoint la plus haute spiritualité. Il raconte comment Gargantua est né de l'oreille de sa mère Gargamelle après maints sphincters. Il manque de sortir par l'anus (« le fondement qui lui échappait), remonte grâce à l'administration d'un astringant du gros intestin (« le boyau du cul » par lequel il a failli naître), traverse d'un saut les cotylédons de la matrice, entre dans la veine creuse, grimpe à travers le  diaphragme jusqu'au-dessus des épaules, à l'endroit où la veine en question se partage en deux, et, ainsi, dit l'auteur:  «il prit son chemin à gauche et sortit par l'oreille de ce même côté. Sitôt qu'il fut né, il ne cria pas comme les autres enfants: "Mie! mie!", mais il s'écriait à haute voix: "A boire! à boire! à boire!" comme s'il avait invité tout le monde à boire.[...]»

 

  Rabelais parle de naissance de l'homme, qui est esprit, et de son indépendance à acquérir: contrairement à l'ordinaire, cette naissance extraordinaire digne de récits bibliques qu'il parodie, son héros Gargantua ne se raccroche pas à la matrice mais demande à boire!... Dans cette naissance, c'est une alchimie de la prima matera à la la pierre philosophale qui s'est opérée grâce à une grand-mère (sagesse) donnant l'astringant. De fait, l'oreille interne possède les outils du forgeron: l'étrier, l'enclume et le marteau. L'oreille externe (conduit auditif et pavillon) non mobile contrairement à celle des animaux se concentre sur l'écoute intérieure bien faite pour économiser le mouvement extérieur. Rabelais rejoint encore les travaux du docteur Tomatis: « L'oreille se voit donc attribuer le système nerveux dans le but de pouvoir introduire la fonction parolière ». De fait, l'homme n'est que Verbe! Et on comprend mieux l'injonction biblique: « Que celui qui a des oreilles entende ce que l'Esprit dit... » Il est significatif que dans la Madone de Dali, thème qu'il a mainte fois traité, le lobe de l'oreille suggère de manière subtile une bouche qui montre le lien de l'oreille au Verbe. Car ce n'est pas tant dans l'écoute (la réception de l'information)  que dans l'entendement (son décodage) que se révèle la Connaisssance.

 Enfin, on remarque un billet blanc. Ce papier "vierge" fait écho à la virginité de Marie. Si on regarde d'un peu plus prêt il y a deux papiers blancs. L'un en haut à gauche montre qu'il a été plié en quatre et se trouve fixé à l'horizontale. Un de ses angles est également plié et porte son ombre triangulaire. Une perle rouge remplaçant un trou de lumière du canevas est suspendue à un fil accroché à l'un des angles du billet. Au même angle de l'ombre du billet est suspendu une autre perle, mais celle-ci est voilée par un papier blanc vertical et paraît en ombre chinoise. en fait, il n'y a pas deux perles. La deuxième est l'ombre de la première. Pour preuve le fil suspendu au billet est blanc, et son ombre noire. Et pourtant Dali arrive à nous faire croire qu'un papier blanc est suspendu au fil...

On est là face au Mystère divin.

Vraiment, ce tableau n'a esthétiquement pas grand chose de séduisant (qui l'accrocherait chez lui?), mais il rejoint la conception de l'art d'un Marcel Duchamp disant que ce n'est pas la beauté d'une oeuvre qui compte mais ce qu'elle sous-tend. Je dirai que la beauté esthétique compte, mais elle n'est pas un élément indispensable pour qu'une oeuvre ait de la valeur et soit belle ou mieux, grande: l'Esprit qui la sous-tend, ce qu'elle dit, révèle, porte comme message, est aussi essentielle que montrer la beauté de la nature: un papillon, une fleur, etc.

 

 

 31

Il y a cette eau-forte et burin intitulée Le Bon Samaritain, datée de 1633:

 

 

Le bon samaritain  Rembrandt, eau-forte et burin 1633

 

On a l'impression que l'artiste a peint la partie de la parabole qui l'a intéressé d'après une scène vue dans son quotidien. Ce n'était pas la première fois qu'il traitait le sujet, mais ici, Rembrandt fait un habile raccourci en mettant en simultané deux moments de la parabole du bon samaritain dont il illustre la fin, et non le moment où, laissé pour mort au bord de la route par des brigands, le samaritain s'arrête après le passage d'un prêtre et d'un lévite indifférents.

Lisons le texte de l'évangile de Luc dans la partie illustrée par Rembrandt, juste après l'avoir mis sur sa monture: "Il le mena dans une hôtellerie, et prit soin de lui. Le lendemain, tirant deux deniers, il les donna à l'hôte et lui dit: Aie soin de cet homme, et tout ce que tu dépenseras de plus, je te le rendrai à mon retour."

Le génie du peintre éclate de toute part, non seulement dans la luminosité qui rend parfaitement l'ensoleillement estival (faisant ressortir des ombres tranchées), à moins qu'il ne soit printanier comme l'annoncerait l'ébat d'oiseaux sous l'arbre, mais dans la composition de l'oeuvre qui par trois arcades attire notre attention sur trois zones narratives. La première, l'arcade fenestrale, où l'intendante accoudée dans la parure d'un rang plus élevé que ne le suggère l'auberge délabrée, veille à la bonne manutention du blessé par un homme soufflant sous son poids. Ce blessé souffrant a ses yeux tournés vers elle. Un garçon princier maintient le cheval de trait. La deuxième arcade, celle de l'entrée de l'auberge surplombe et souligne ce qui se joue à part entre le maître d'hôtel et son hôte, dans leur propre espace. La troisième arcade coupée au milieu du demi-cercle surplombe un puits où une servante recueille de l'eau. Mais une quatrième zone semble vouloir occulter tout le reste. Au premier plan, un chien à côté de ce qui a l'air d'être sa niche, fait ses besoins sous nos yeux.

Dans une scène non religieuse, Rembrandt avait "croqué" deux ans auparavant une femme urinant. C'est la première fois qu'un peintre s'intéresse aux besoins intestinaux et rénaux d'aussi près. Jérôme Bosch l'avait fait avant lui, mais dans une ambiance décadente

Rembrandt était à la fois profondément religieux et profane, profondément humain. Que le sacré se trouve mêlé au quotidien, voir au profane le plus trivial était naturel pour lui. Il désirait rendre la scène la plus crédible et la plus vivante possible aux yeux de ses contemporains qui ont dû rire en voyant cela. En même temps, l'astuce est grande et fine d'avoir utilisé un "chien de garde" déféquant. L'homme choqué sera poussé par lui à se centrer sur le véritable sujet. Et n'est-ce pas qu'on aurait pu sous des costumes différents voir la même scène aux temps bibliques? Et le secouriste (samaritain) n'est-il pas plus mis en valeur par l'action de ce pressant besoin?

 

 Et il y a la lingère de Hubert Robert, connu surtout pour ses paysages de ruines d'Italie, où il trouva sa patrie de peintre.

 

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La lingère, 1761, Sterling et Francine Clark Institute Williamstown

 

Là, c'est une scène qu'il semble avoir vue à la volée dans une lumière méridionale radieuse.

Une femme, sans doute la mère du petit garçon, est divertit par lui dans sa tâche. L'enfant en plein soleil, a soulevé de manière spontanée et insouciante sa chemise aussi blanche que les jupons de sa mère et du drap qu'elle étend sur un fil à linge, pour uriner sur son chien endormi à l'ombre. Celui-ci reste impassible, symbole de l'innocence de l'enfant.

Nous aussi on est diverti. Le sujet est détourné. Le titre aurait pu être: "Quel travail que celui d'être mère!"

Il s'agit encore d'une toile qui vibre de par sa lumière et ses couleurs, de par le mouvement du retournement de la mère très bien rendu dans le "feu de l'action". C'est une composition aux multiples échos de couleurs.

Intéressons-nous au décor. On a une fontaine avec un bas-relief représentant une tête de lion de la gueule duquel s'écoule un flot laiteux... La fontaine est intégré au socle d'une statue colossale dont on ne voit que la partie inférieure. Ce socle porte inscrit: "Roberti", signature italianisée qui affirme la naturalisation, au moins de coeur, de l'artiste. À droite se trouve un mur que réhausse de délicates fleurs aux tons pastels. Il est illuminé par endroit par des tons roses saumon auquels répond la couleur du pot de fleur derrière le chapeau de femme. La couleur du chapeau de femme posé sur un drap, lui-même posé sur le socle de la statue, trouve aussi un écho avec une zone de fleurs. Mais le plus remarquable est sans doute dans la correspondance entre trois lignes. En effet, en plus de son écho avec la fontaine, le filet d'urine blanche se trouve perpendiculaire au long fil à linge de même couleur et parallèle à un autre rayon vraiment étonnant, de couleur jaune comme le chapeau, et qui semble sortir de nulle part bien qu'on le voit prendre naissance en bas de la statue.

Deux autres détails ajoutent au dynamisme de la composition. Au bas du tableau, une corbeille en osier au pieds de la lingère paraît avoir été libéré de ses fruits étalés devant nous pour servir de panier à linge; d'autre part, une gerbe renvoyant à la chair rose de la mère et du fils vient accentuer la scène entre eux, ou plus exactement, la tension, le mouvement de la mère à l'enfant.

 

 


32

Il y a la pieta de Villeneuve-lès-Avignon qui fut découvert dans cette église en 1834 par l'inspecteur général des Monuments historique Prosper Mérimée, plus connu par ses nouvelles ciselées. Mais ce n'est qu'après sa présentation en 1904 à l'exposition des Arts primitifs, qu'elle entrera en 1905 dans un sanctuaire profane: le Musée du Louvre.Dans le sens strict, il s'agit d'une "Déploration du Christ" et non d'une pieta ne faisant figurer que Marie et Jésus mort sur ses genoux.

Le profond bleu marine grandement étalé, et à proportion moindre, mais de manière éclatante, le pourpre et le blanc -toutes ces couleurs savamment réparties dans les vêtements des cinq personnages - ainsi que le fond tout couleur or, tout cela suffirait pour faire de ce morceau de peinture un chef-d'oeuvre. Mais si la couleur participe de manière essentielle à l'émotion, celle-ci est surtout dû au sujet religieux fort commun mais très novateur et audacieux dans sa composition. Le corps du christ mort semble distendu et occupe dans sa longueur plusde la moitié de celle du tableau. Fortement cambré sur les genoux de sa mère, un long bras tombe jusqu'en bas de sa robe marine. Les cinq personnages peuvent s'inscrire dans un oeuf.

Les gestes et les expressions de visages sont un peu affectés, mais sont pourvus d'une forte charge expressive.

On voit Marie aux maints jointes comme deux i, et dont la tête est inclinée du côté du visage de son fils; la femme à droite, sans doute Marie-Madeleine, s'essuie les yeux en larmes avec son chiffon jaune. Au chevet de la tête du Christ, le jeune apôtre Jean a son visage épanché vers lui. L'une de ses mains soutien la tête et l'autre tendue vers le visage semble jouer de la harpe sur les rayons dorés de  l'auréole qui fait contraste avec le cri de douleur resté comme figé sur sa bouche ouverte. Reste le personnage tout à gauche, un peu guindé, mais le plus énigmatique, et celui dont le visage est le plus travaillé, si bien qu'il paraît plus réel et proche de nous. Le visage inquiet est buriné et la peau brille. J'ai été frappé une fois par la similitude plastique entre ce visage et celui d'un autoportrait de l'artiste expressionniste et écorché vif Schiele. Ne serait-ce pas le peintre lui-même qui s'est autoportraituré à genoux, les mains jointes, dans un habit sacerdotal? Il est plus vraissemblable que ce soit le donateur.Cela est anachronique, mais pas rare à l'époque.  Il était courant en effet d'ajouter soit le commanditaire, le donateur ou des saints dans les pieta comme dans les conversations sacrées. On peut remarquer derrière lui une église ou une basilique. Est-elle là pour symboliser Jérusalem ou s'agit-il d'un lieu où le peintre vécu? On voit aussi un paysage assez aride avec à droite un mont. Le paysage correspond assez à celui qui entoure Villeneuve-Lès-Avignon. Il y avait ici une école de peinture influencée de l'école flamande et italienne, mais qui trouva sa propre expression à travers ce chef-d'oeuvre par exemple.

 

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La Pieta de Villeneuve-lès-Avignon, attribué à Enguerrand Quarton, entre 1455 et 1460 - Panneau d'un retable, Tempera sur panneau de bois de noyer, 163 cm × 218 cm - Musée du Louvre, Paris, France

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Et il y a la Piéta de Soucelles.

 

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Piéta de style roman, Chapelle de la Roche-Foulques (ou chapelle Sainte Croix ou de Saint Julien), XIIème siècle, dépendant de Soucelles, Maine et Loire, au nord d'Angers

Cette sculpture romane en bois peint et datant peut-être du XIIème siècle est abîmée, et pourtant elle a conservé l'essence de sa beauté, de sa sérénité. C'est un trait extraordinaire dans une piéta, mais il est flagrand qu'on est au-delà de la "mater dolorosa", plus proche de l'art khmer que chrétien. Drapée d'un bleu céleste, un bleu lavande, qui ajoute une grande paix et une grande pureté symbolisée aussi par le blanc, Marie est toute recueillie. Sa peau orangée lui donne de cette chaleur qu'on devine emplir son coeur dans l'Amour. Son fils inerte, tient miraculeusement sur ses genoux; presque nu comme un ver, il s'enroulerait preque autour de sa taille, cependant, il est dans un total abandon et sa peau est chaude de l'amour de sa mère. Il y a comme un dialogue intime qui se créer entre la mère et le fils par leurs mains placées dans le même axe. Celles du fils reposent – fait encore rarissime sinon unique- croisées au-dessus de son sexe couvert d'un linge blanc; celles de la mère, dont les doigts son intensément imbriqués, ont les paumes écartées pour former un triangle dont l'ouverture sert comme de canal pour envoyer à son fils toute son énergie d'amour, et toute sa confiance, certaine de sa résurrection. On est loin de l'abattement mêlée d'inquiétude et de désespoir s'affichant sur le doux visage de la Vierge de la Pieta de Michel-Ange et qui d'un geste de la main semble demander à Dieu ce qui arrive.

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La Pietà, Michel-Ange, 1498-1499  statue en marbre 174 cm × 195 cm × 69 cmBasilique Saint-Pierre du Vatican, Rome,

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Cette sculpture est un chef-d'oeuvre, j'ose le dire, qui repose ignorée dans le débarras d'une chapelle romane.

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D'un trou en haut du crâne, emplacement du chakra coronal, ne capte t-elle pas l'énergie divine?

 

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Les mains sont reliées.

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Dans le flou, son fils semble sourire.

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Ne dirait-on pas que l'image tremble de la présence divine et de toute l'énergie circulant?











 

 

 

 



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Commentaires
Histoire de plume, plume de lune
  • Stéphane Gentilhomme, 39 ans : UN POÈTE français du XX-XXIème , UN ÉCRIVAIN aux multiples quêtes (de forme et de fond) et plein d'humour. UN ARTISTE panaché qui explore l'âme et différents étages de l'être. Public Ad 90% , E, 10%)
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