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Histoire de plume, plume de lune
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5 août 2023

Les seins de Christine and the King

Je parle bien de Christine and the Queens, homme avec des seins, comme il y en eut toujours. Comme il y eut toujours des femmes avec un sexe masculin. Rareté. La nature expérimente toutes les possibilités. Je parlerai de la dénudation pectorale de l'artiste après l'union psychologique mise en scène avec le roi des animaux (d'où mon titre...). Mais avant, une petite trouvaille personnelle suivi d'analyse.

Je n'ai vu nulle part le rapprochement entre Christine Jorgensen (née George William) et Christine and the Queens (né Héloïse Letissier). Or Christine Jorgensen (1926-1989) ayant des attributs masculins à la naissance s'est donné le prénom Christine en l'honneur du Dr Hamburger qui l'a opéré pour lui donner sa véritable identité (« La nature avait fait une erreur que j'ai corrigée, et à présent je suis votre fille » déclara t-elle à ses parents qui l'acceptèrent). Aussi Christine Jorgensen devint-elle une porte-parole pour les personnes trans (Wikipédia).

« Queens » a été éclairé par l'artiste lui-même, sa fréquentation à Londres d'un club de draqueens. Mais « Christine » non. Choix inconscient (venant de l'inconscient collectif) ou choix conscient et caché ? Pourquoi en ce cas ? Choix caché je pense en un temps où il se disait femme, à ses débuts et semblait l'assumer pleinement en tant que féministe revendiquée. Pourtant, dès le premier album il (« elle » alors) déclarait dans sa chanson « it » : « Je suis un homme à présent », « Je l'ai (le sexe masculin, le pénis) ». Ce texte assez obscur évoquant au tout début la poétesse Emily Dickinson s'éclaire à la fin en évoquant une lutte intérieure pour la conquête de sa véritable identité sexuelle en passant par cette thèse, antithèse, synthèse passant du « elle » à « je » à «elle » (tandis que la chanson s'ouvre par « je ») :

 

Elle veut être un homme
Mais elle ment
Elle veut renaitre, encore
Mais elle perdra
Elle dessine son propre entrejambe par elle-même
Mais elle perdra parce qu'il est faux
Il est faux

Non! je l'ai
Je suis un homme à présent
Oui je l'ai!
Je suis un homme maintenant
Et il n'y a rien que vous puissiez faire
Pour me faire changer d'avis
Je suis un homme à présent

Elle est un homme maintenant
Et il n'y a rien que nous puissions faire

 

 Ambigüité à tous les étages... pourrait-on dire. Il aurait pu s'apparenter aux « personnes non binaires » ( à la fois femme et homme), mais non il continuait de se présenter comme femme tout en déclarant dans cette chanson passée inaperçue : « je suis un homme à présent». Et le prénom choisi pour incarner son « personnage » scénique semblait confirmer plutôt l'inverse. Il est difficile de voir un lien entre le tube « Christine » du premier album et la célèbre trans dont il semble avoir rendu hommage par le choix de ce prénom. Si le prénom est emprunté, le personnage « Christine » est une pure création. D'aucun y ont vu l'évocation d'une prostituée. Au passage, notons que sur tous les sites de paroles de chansons il se trouve une erreur pas si banale : « le ciel coule sur mes mains » lit-on alors qu'on entend «sur mes seins ». Les seins qu'on a pas voulu voir-entendre, assumer, on les a vu en fin juillet 2023 à la télévision. ICI

Cela a surpris, voire choqué. Pourtant, une vidéo sur You Tube la précédant de deux semaines le montre chanter en concert « Full of life » dans une même mise en scène avec le même lion chevauché, embrassé – fort symbole ! Là, il ne se dénude pas, il l'a déjà fait dans une chanson la précédant, il est donc déjà torse nu et le reste tout le long de la chanson précédée d'un speech dans le même appareil, et là ce n'est pas du play back, mais du live. (Full Of Life - Live OPEN’ER ICI ). Il y a donc une forte cohérence, continuité, et il ne fallait pas l'inviter si on ne voulait pas voir sa poitrine. D'ailleurs, la chaîne TV devait être au courant et a choisi un plan large anticipé. Comme il n'y a pas de caractère sexuel c'était légal. De plus on remarquera la pure délicatesse alliée à la provocation (non gratuite on y reviendra) : ses tétons sont cachés par une sorte de pâte couleur chair pas très joli, qui ne fait vraiment pas fantasmer ! Aussi l'artiste n'est-il franchement pas plus à réprouver que les danseuses de cabaret se fichant une étoile brillante sur les tétons.

Dans la cérémonie, ce geste solennel comme la merveilleuse interprétation du baroque Canon de Pachelbel, ce geste ostentatoire et provocant, car prérogativement réservé aux hommes, ne pouvait advenir qu'à la fin, il prend tout son sens, comme la revendication publique de ce qu'il est : homme mais avec une poitrine de femme. Et donc c'est une liberté toute masculine qu'il prend.

J'en reviens au symbole du lion, et c'est une sculpture de lion comme celui d'un blason royal qu'il chevauche et embrasse. On ne peut trouver plus grand symbole de masculinité dans toute l'animalerie que le lion et sa crinière. En même temps, c'est un symbole de la royauté incarnée par le roi, donc symbole patriarcal. Or, ambiguïté, il a revendiqué lutter contre le patriarcat depuis ses débuts, et en particulier durant la période où il se donna le nom Chris, avec une coupe de cheveux « garçonne » pour allier le geste à la parole. Mais beaucoup de femmes non transgenres comme Jane Birkin, Mylène Farmer ou Sinead O'Connor ont arboré un look « masculin ». « Chris » c'est le diminutif de Christine, dira l'artiste. Certes. Mais aussi celui de Christophe. Et c'est un prénom aussi bien masculin que féminin. Ambigüité encore. Pas absente non plus de son geste de dénudation lors de la cérémonie cérémonie de présentation à un an des JO 2024 (Paris 2024) qui n'a pas forcément un sens unique. Il peut autant signifier : « j'assume mon identité d'homme et j'ai le droit à ce titre dans notre société patriarcale de me mettre torse nu », que « je suis une femme et je revendique l'égalité des droits, un homme pouvant chanter sur scène torse nu comme l'ont fait par exemple Freddie Mercury ou encore plus Iggy Pop au point d'associer son image à son torse, j'ai aussi ce droit. » Sauf que là, ce n'est pas à un de ses concerts, mais publiquement sur une chaîne à une heure de grande audience. C'est le seul reproche qu'on peut lui faire, mais encore une fois avec la complicité de la chaîne TV. Et ce n'est pas fait par n'importe qui. Christine and the Queens. Il n'y a que lui qui pouvait faire ça.
Un vrai artiste fait pour envoyer des messages à la société, et qui par cette occasion fait parler de lui comme tout artiste ambitieux et d'envergure. Son envergure est grande et oui, même si c'était prévu pour faire passer la « pilule » (ce dont on peut douter car cela semble spontané), la parole de la commentatrice à la fin n'en est pas moins vraie: « grandiose, époustouflant, du grand Christine and the Queens ! » En effet, un moment de grâce sublimé à un certain moment par une vue du ciel de Paris illuminé, gâché pour certain(e)s par sa dénudation qui a dû faire l'effet d'une douche froide.

D'abord il aurait fait ça je ne sais pas, à la fin d'une prestation sur un morceau de style rap, mais non, sur une interprétation magistrale et moderne d'un tube classique sur lequel il a greffé des paroles personnelles en anglais : le baroque Canon de Pachelbel! Et qu'il y ait dedans un « fucking » on s'en fout, c'est du niveau Initials BB de Serge Gainsbourg sur un célèbre thème de Dvorak.

Même dans sa mise en scène, on a pu croire qu'il en faisait trop, en oubliant d'une part son bagage théâtral, mais aussi qu'il s'agit d'une prestation digne du style baroque, et tant pis si ça peut paraître un peu barré, c'est Christine and the Queens ! Aussi, plus qu'à Initials BB, on peut faire un parallèle intéressant entre le sublime Ombrai mai fu de Haendel où le roi Xerxès prie un arbre tel qu'on peut le voir à l'opéra et la sublime interprétation et mise en scène du Canon de Pachelbel revisité par Christine and the Queens. L'original instrumental est beau et reposant et peut parfois être insipide, la revisitation par Christine and the Queens est puissante, troublante, émouvante, exaltante, en ajoutant une voix à ce qui en avait pas, une voix qu'on aime, reconnaissable, unique, et on peut dire que rarement il aussi bien chanté. C'est un hymne, un tube qu'on devrait entendre à la radio après le coucher du soleil. Alors excusez du peu, mais dans ce contexte, que peut faire une poitrine à l'air quand on atteint pour ainsi dire la musique des sphères, qu'on nous mène si haut dans le ciel des possibles, dans l'infini, l'éternité, quand on se dit ouah, il y a une grandeur humaine et elle nous le fait sentir, il est grand cet humain, homme ou femme, ce serait pareil. Il se serait mis entièrement nu, comme pour son cœur (pour faire un clin d'oeil au titre d'un journal intime de Baudelaire) que son morceau divin touchant au génie de Mozart – on peut dire son morceau, car ce n'est plus du Pachelbel c'est du Christine and the Queens – aurait mérité autant, sinon plus d'applaudissements ! Certes, on ne peut oublier que c'est du playback, mais on l'oublie tellement c'est habité, vécu, avec une présence scénique incroyable, une gestuelle de danse pas banale, qui allie le calcul à la spontanéité comme il a déclaré aimer faire, où surgit au sein d'une lenteur solennelle un geste rapide, comme dans la vie fluctuante, avec comme des moments de suspension au bord de la syncope. Ce n'est pas le lieu pour se poser des questions sur sa santé mentale, même si sa gestuelle par moments pourrait évoquer certains troubles psychiatriques. On dira ici à son crédit qu'un artiste peut exploiter artistiquement quelque chose de dérangeant et a le droit de révéler au monde ce qu'est un autiste artiste et inversement, car les deux bien souvent sont liés, et l'artiste de scène contraste avec l'autiste de ménage qu'il est tout autant et plus souvent. Ce peut être caricaturé, mais y a du vrai, et l'artiste est dans cette quête du vrai ou de vérité, notre société le demande, quitte à rechigner ensuite sur une réponse donnée. Certains autistes ont pu l'inspirer, lui autiste Asperger et/ ou Haut Potentiel, comme je le crois. En tout cas, dans sa prestation pour la cérémonie des jeux olympiques, il a fait vraiment léger par rapport à une vidéo où on le voit chanter tout seul devant un micro ou encore un clip sur un titre de son nouvel album, jouant à fond, se caricaturant dans la danse comme on le lui a reproché, mais avec une intention qui nous échappe et nous questionne. Comme cette histoire identitaire sur laquelle il nous questionne depuis des années, depuis ses débuts où « il » était « elle ». Où « elle » était. Maintenant « elle » n'est plus, ne doit plus être, c'est « il » qui est. Et pourtant... On y reviendra (dans un autre texte).
« Christine and the Queens », devenu « Chris », puis « Redcar », redevenu après transformations « Christine and the Queens » pour cette fois-ci s'assumer telle qu'il l'annonçait mais avec des cheveux mi-longs, comme à ses débuts, cela a de quoi dérouter. Il semblerait que la perte de sa mère l'a amené à une grande introspection, jusqu'à vivre une expérience qu'il qualifie de chamanique. Durant cette période, il semble beaucoup communiquer avec des anges qui le poussent à devenir lui-même. Son chemin et sa musique donc se font plus spirituel et il revendique cette spiritualité à dimension qu'on peut qualifier de mystique, allant dans une interview jusqu'à citer Rumi, le célèbre poète soufi à l'origine des derviches tourneurs. Est-ce un hasard si l'une de ses deux chanteuses préférées, révélé lors d'une interview de 2013, est Patti Smith (l'autre étant Kate Bush) ? On aurait mieux compris si il avait dit Mylène Farmer pour laquelle il n'a pas caché son admiration depuis longtemps! Musicalement, on ne voit pas grand chose en commun entre Patti Smith et Christine and the Queens. Mais la reine du Punk poétique dans sa marginalité assumée a de quoi séduire, elle qui chante d'avoir couché avec une femme, « Gloria », qui a eu un accident de scène en tournant comme un derviche tourneur..., rien n'est banal chez cette figure émancipatrice, et il en va de même avec Christine qui se rapproche encore plus de Patti Smith depuis que son art accède à une dimension chamanique. On ressent cette dimension dans plusieurs titres du dernier album de Christine and the Queens : Paranoïa, Angels, True love (2023) d'où est tiré Full of life. Ce côté chamanique est même nommé, revendiqué dans une interview. Dans son spectacle de la tournée de son dernier album, on voit tout son bagage théâtral, car il est issu du théâtre, mais aussi il y a des moments où il parle de manière incantatoire, comme dans l'introduction de Full of life de la vidéo désignée plus haut, ce qui encore le rapproche de Patti Smith.

Particulièrement avec son dernier album - opéra-rock d'une richesse musicale et vocale inouïes, qui est pour le moment son chef-d'oeuvre, celui qui m'a conquis entièrement après une petite suite de tubes mémorables disséminés sur des albums comparativement moyens dans l'ensemble en dehors de ces pics - , on semble être devant le fruit miraculeux d'un douloureux accouchement de soi-même.
On peut même voir son évolution depuis ses débuts comme une opération alchimique. « Redcar » de l'album précédent ne symboliserait-il pas « l'oeuvre au rouge » ? Peut-être tiré par les cheveux. Ce qui est sûr, il l'a révélé, ce nom vient de la vision d'une voiture rouge en pensant à sa mère défunte, ce signe se multipliant ensuite.
Voilà un texte qui va beaucoup plus loin qu'on ne peut le penser avec un titre pareil.

Il faut quand même le dire en conclusion pour revenir au titre: il a des seins ! Le fort symbole du lion convoqué, invoqué, n'aura pas suffi pour faire illusion d'un torse masculin ! Mais il se sera superbement affirmé face au public, il aura superbement révélé au monde une vérité invisible dans une mise en scène irréprochable (au pire très excusable) et exquise sur une musique sublime, propre à faire chanter les anges, qui dit-on n'ont pas de sexe...

 

Christine and the Queens - Full of life - Paris 2024 - photo 1

 

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Histoire de plume, plume de lune
  • Stéphane Gentilhomme, 39 ans : UN POÈTE français du XX-XXIème , UN ÉCRIVAIN aux multiples quêtes (de forme et de fond) et plein d'humour. UN ARTISTE panaché qui explore l'âme et différents étages de l'être. Public Ad 90% , E, 10%)
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