Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Histoire de plume, plume de lune
Histoire de plume, plume de lune
Derniers commentaires
Archives
13 février 2009

Le Compulseur (1)

LE COMPULSEUR

 

Avertissement : Après une première partie purement littéraire, ce « roman » est abondamment illustré d' œuvres d'art  savoureusement commentées.

 

 

LE COMPULSEUR

 

 De toute évidence, il compulsait. Page après page, il parcourait, explorait le dictionnaire en quête d’auteurs.  poètes, romanciers, nouvellistes, conteurs, fabulistes, dramaturges, voir critiques et essayistes, voilà quels étaient les sujets premiers de sa compulsion, tous entrant dans le chapeau « littérature », ce qui plus objectivement devrait être appelé micro-littérature ». Mais, repoussant les limites de celle-ci, il ne rebutait pas sur tous les autres écrivains non qualifiés comme tels dans le dictionnaire comme les philosophes, les historiens, les géographes, les psychanalystes, les pédagogues, les sociologues, les linguistes, les biologistes… La liste serait longue autant qu’étonnante. « Quoi des économistes, des politiciens qui écrivent ? » se disait le compulseur, « des sinologues ! et puis quoi encore ? »  Enfin, extensible à l’infini, il faisait entrer dans le chapeau tous ceux qui de par leur profession étaient amenés à écrire, que ce soit par nature de leur profession, par dessein personnel ou par accident de parcours. Ainsi, tout ce qui élargissait les frontières de la pure littérature (la micro) pour former le grand cercle de la  macro-littérature  (l’impure ?) se trouvait convié.

 

  Le compulseur, lui, n’avait pas pour profession de compulser, et c’était à la fois par nature, dessein et accident qu’il s’adonnait à cette activité.

 

  Par nature, parce qu’il était écrivain. Le jugement « je suis inconnu donc mauvais » ne remettait point en question la qualification de son activité qu’il exerçait de tout cœur : écrire. Et cela suffisait pour le nommer écrivain. Plus spécialement micro-écrivain…

 

  Par dessein, parce qu’il aimait les livres et adorait lire, insatiable en découvertes, boulimique du bouquin comme de la bouquinerie.

 

  Par accident, parce qu’il en eut, dictionnaire en main, l’idée par hasard. Bien que (ne nous y trompons pas), cette idée, il l’avait maintes fois eue, dictionnaire en main, et pas seulement par hasard.

 

  Cette idée de compulsion, c’était une véritable pulsion ou mieux une impulsion. Elle lui avait maintes fois traversé la  cocotte-minute  comme un oignon embrasé dans un ciel d’outre-tombe et il avait maintes fois ébauché sa concrétisation, autrement dit, maintes et maintes fois il avait été débauché de son entreprise pour x et x raison, de même que l’emploi d’un style verbeux se trouve ici utilisé pour x et x raisons.

 

   Quand il n’épluchait pas les écrivains, il épluchait les peintres et les sculpteurs, quand il n’épluchait pas ces derniers, il épluchait les photographes, et quand il n’épluchait pas les photographes, qu’avait-il d’autres à éplucher ? Des cinéastes ? Non, des écrivains. Des hommes de plume, toujours et encore. Il se sentait comme un frère jumeau face à eux. Les Affinités électives chères à Goethe (un écrivain…) ne pouvaient mieux définir ce qu’il ressentait. Les écrivains (spécialement de la micro-littérature, vous vous doutez bien) étaient sa secret family. Si secrète que le compulseur, deuxième enfant d’une famille nombreuse, heureuse et merveilleuse, compulsait en secret.

   

   « Concrètement, qu’est-ce que ça donne une compulsion du compulseur ? », dites-vous, avisé lecteur.

 

   Je prendrai grand plaisir à vous répondre mais d’abord, j’aimerai vous féliciter de votre bravoure et vous encourager à ne pas rester coincé sur l’illustration de L’origine du monde sur lequel vous êtes tombé en feuilletant ce livre avant de le lire. Vous avez vu que ce « roman » était abondamment illustré, ce qui n’a pas manqué de susciter une curiosité quant à la raison de ces insertions. Mais vous avez vite compris que les commentaires des œuvres perdaient de leur saveur mis hors du contexte. Et il faut bien, avant de goûter ce plaisir, souffrir un peu pour comprendre l’univers du compulseur. Ceci dit, en passant, il s’appelle Stanef Noufa. On savourera aussi ce nom plus loin. Pour le moment, nous n’avons toujours pas répondu à la question posée : « Concrètement, qu’est-ce que ça donne une compulsion du compulseur ? » Cette question mérite une réponse concrète. Et ce sera l’occasion de mieux connaître cet étrange individu passant son temps à compulser.

 

   Imaginez si vous pouvez (je pense que vous pouvez). Il est là, installé à son bureau. Il a le dictionnaire grand ouvert. Il a un stylo en main et un feuille étalée sur la table. Par hasard ou disons inadvertance, un de ses frères s’amène. Que se passe t-il ? Eh bien avant même qu’il ouvre la porte et s’imaginant qu’il peut ne pas frapper avant d’ouvrir, le compulseur cache subito presto sa feuille témoin de sa petite folie. Est-ce tout ? Non, il lâche son stylo exécuteur in tabula rasa. Dans quel but ? Tiens donc ! mais dissimuler ses occupations – coupables, non pas, mais pitoyables ou ridicules, sûrement. Peut-être même « sistrophonées », comme dirait sa grand-mère Blue. Et le voilà qui fait mine de chercher quelque chose, partout évidemment sauf à l’endroit où il s’occupait trois secondes auparavant, la hâte dans le cœur que l’intrus – frère, sœur, père ou mère – s’éclipse au plus vite de sa Grotte de congre (eux auraient dit poulailler). Et pourquoi ? Pour retourner à sa tâche dévorante, obéir à l’appel du dictionnaire, accomplir sa passion monomane !

 

   Maintenant, imaginons que par malheur il soit surpris en flagrant délit de passion délirante sans avoir eu le temps de la soustraire à la vision d’yeux indiscrets, voyeurs, voraces et qu’on lui demande ce qu’il boutique. Comment réagit-il à cette agression ? Il étale ses bras et ses mains sur sa feuille, voir l’ombre carrément en se penchant sur elle de tout son buste et répond évasivement : « un truc ». La moue qu’il fait en disant cela est indescriptible et comique, alors que ce genre de situation n’est franchement pas de nature à le faire rire. Cependant il faut réparer l’erreur de croire que ces situations le mettent plus mal à l’aise que ça. Le fait est que le plus souvent, lorsque ces incidents surviennent, il y met la bonne humeur d’une petite pause bienvenue, bien méritée. Cela se traduit ainsi : il fait bailler ses bras en arrière avec un « Ah » de satisfaction et de soulagement qui ne laisse rien d’autre à présumer – ceci tout en ayant eu soin de plier sa feuille et de la ranger entre deux pages du dictionnaire – qu’une petite détente s’impose et que cette intrusion tombe «pile poil » au moment de sa permission octroyée par ses zigues. « Qu’est ce que tu bouines ? » lui demande-t-on. Et lui, le plus détendu du monde répond en se levant, pavé sous le bras : « Oh rien » et ajoute, « j’vais aux toilettes » avant de s’enfermer effectivement dans le cabinet. Cela lui arrive d’y rester une heure et plus. Dans ce lieu sûr, il peut accomplir simultanément deux missions : sacré avantage quand le besoin se fait sentir ! Le dos en compote qu’il a en sortant, c’est le revers. Au moins, il a été tranquille pendant une heure, même s’il a dû aller dans les toilettes du bas parce que papa voulait faire caca en haut, et retourner dans les toilettes du haut parce que maman voulait faire pipi en bas.

 

  *

   

   Finalement le secret du compulseur fut découvert par sa sœur. Ah ! sa sœur ! Ce qu’elle voulait le plus innocemment savoir, elle le sut.

 

   Le frère compulseur, à la douce question en douce « Qu’est-ce que tu écris ? » ne put résister. « Après tout, se dit-il, il n’y pas de honte ». Comme tout compte fait il aurait pu avoir honte pour toute autre chose que pour cette broutille, cette fois, il ne s’esquiva pas, mais bafouilla : « Bah… je cherche… dans le dictionnaire… et j’écris des noms… ». Sa sœur, coquine, traîna sa seconde question : «De quoaaa… » Lui de cafouiller de plus belle : « Bah… Euh… » avant de faire exploser l’évidence : « bah d’écrivains ! ». Immanquablement, après le « quoi » pointa le « pourquoi » : « Bah, y’a plein d’écrivains que j’connais pas… Et puis ça m’donne des idées de lecture ! » Cette fois il était décoincé. La passion avait eu raison de sa pudeur. « C’est amusant ! », fit-il à sa sœur amusée. Elle qui croyait que c’était pour tromper l’ennui, alors que c’était un mot dont le compulseur (son grand frère) ne connaissait pas la couleur. Il le lui fit bien comprendre. Mais libéré à présent, d’autant plus quand sa sœur lui avait rappelé avec un faux air de doute sur le visage qu’il avait déjà fait « des choses comme ça », un « Ah bon ? » fusa, naïf, de ses lèvres. Et elle de lancer gaiement : « Tu compulses ! »

 

   Là, il avait lâché bride. Il exhibait maintenant sa feuille et sa sœur put voir une longue suite de noms  nerveusement écrits noir sur blanc. Ca frôlait la patte de mouche. Elle remarqua des nombres encadrés qui correspondaient à la somme des écrivains dénichés pour chaque lettre. « Tu comptes ? » c’était pour elle très drôle. Le compulseur ne put s’empêcher de rire aussi et, excité, d’ajouter à la plaisanterie : « Tu vois, c’est pas toujours quand il y’a le plus grand nombre de pages pour une lettre qu’il y’a le plus d’auteurs. » Elle pouffa. Et lui, tout animé, tout ému : « Là, regarde ! », et il ouvrit avec tremblote le dictionnaire et montra deux épaisseurs différentes :celle qui correspondait à la lettre E, et l’autre, à la lettre H, cette dernière dont elle avait dit : « Il y’en a beaucoup » et dont son frère compulseur avait presque fini la compulsion. A vue d’œil, le H était deux fois moins épais que le E. Et pourtant, c’est à peine croyable, mais il y avait beaucoup plus d’écrivains en H qu’en E. Le compulseur  y alla franchement : « E : 40 ! H… J’ai pas compté parce que j’ai pas terminé, mais bon, on voit bien qu’il y’en a plus, même si y’a pas que des noms d’auteurs… »

 

     –        Y’a quoi en plus ? fit la sœur intéressée. 

 

     –        Là, j’ai souvent écrit aussi des noms d’œuvres avec.

 

     –        Ah ! En plus tu varies tes méthodes de travail ! 

 

    –        Bah oui ! » fit le compulseur abasourdi par le mot « travail ». Assurément, il y avait bien  de la méthode là-dedans, mais du travail ! « Enfin, se dit-il, faut pas chipoter, c’est une marque de reconnaissance que tous les chômeurs n’ont pas la chance d’avoir. » Ajoutons que cela venant de sa sœur, il était sûr que c’était sincère. 

 

    « C’est un peu con comme jeu » dit la sœur – commentaire auquel vous souscrivez sans problème, vous demandant si la poursuite vaut la peine. Dorénavant, vous êtes livré au bain. Alors il reste conventionnellement à souhaiter bonne baignade, bonne rigolade, bonne marmelade, bonne salade et tout ce que vous voudrez qui commence par « bonne » et se termine par « ade » !

 

     Combien de découvertes le compulseur n’a t-il pas fait dans sa folle exploration ! Folle ? Il faudrait oublier qu’il était écrivain doublé d’une curiosité invétérée pour qualifier ainsi son entreprise. Il est exact qu’il aurait pu rechercher ce qu’il recherchait dans les dictionnaires de littérature existants et le combler en nombre et en espèce davantage que ce qu’il exhumerait d’un dictionnaire général. Ce serait se gourer lourdement sur la psychologie du compulseur prenant son pied dans la fouille. Le thésaurus était comparable à un terrain de fouille : brasser la terre pour trouver des trésors (thésaurus), tel est le principe élémentaire de tout archéologue, ce que le compulseur était à sa façon. Certes, c’étaient là des trésors qui avaient déjà été déterrés, mais il n’est pas question ici de faire un procès d’intention, laquelle n’était que de fouiller le fruit de la grande fouille et de – pour lui – trouver. Le qualifier de farfouilleur serait tout-faux tout-faux. Archéologue, il l’était, ou tout au moins fouilleur. Cela se trouvait d’autant plus vrai qu’il fouillait dans un dictionnaire où noms communs et noms propres étaient brassés. Ainsi pouvait-il trouver en épluchant : « Ararat » et « arasement » à la suite, ou pour ce qui est des écrivains : « Abdu (Muhammad) » juste en dessous de « abdominal(ale, aux) ». C’était sans doute plus excitant que de dégoter, dans la conjecture qu’il eût usé d’un dictionnaire spécialisé : Abdu – Abekobo – Abellio – Abercrombie – Abou Nawas, etc. en une suite ininterrompue jusqu’à Z  Cet exemple – comme c’est drôle – nous amène inopinément à sa première découverte, à savoir que sur les cinq premiers noms, tout grand lecteur qu’il fut, il n’en connaissait aucun. Ce n’est qu’à « Achard »,c’est à dire le neuvième nom,qu’il put s’exclamer triomphalement en son for intérieur : « Ah ! lui, j’le connais » ce qui voulait dire au moment où tous les « poissons » lui échappaient : « Ah ! lui, je l’tiens ». Et hop ! dans le vivier ! Une sacré prise, puisqu’il avait dévoré son Jean de la Lune. Hop-là ! Et de deux ! et de trois ! quatre ! cinq ! dix ! Combien de « poissons »pêcherait-il ? Penchons-nous pour le moment sur d’autres siennes trouvailles. Certaines ne manquent pas d’humour. A titre d’exemple, ce rapprochement incongru qui se fit dans sa cervelle entre, dans la rubrique B,le « Boileau » (qu’il connaissait sans avoir lu) et son compère largement postérieur figurant dans la lettre D : « Drinkwater » (ni lu, ni connu)… Après digestion de la blague, le compulseur s’était dit que ç’aurait été mille fois plus rigolo si le Boileau français avait été le contemporain sosie pas seulement de nom mais de tête aussi (not only from name but from head too)du Drinkwater anglais et que si des fois, par chauvinisme, l’eau française n’aurait pas été vantée au dépens de son égal anglais durant des siècles jusqu’à ce que, lui, le compulseur, y mette justice. Si cela dénote un sens de l’humour peu commun, que dire de celui-là, moins amphigourique toutefois : « cendre rare » pour Cendrars ! Ou encore : « Butor… étoilé », ou la comparaison de Goethe avec une poule : GOETHE ! Goethe…Goethe…Goethe… et j’en passe : « Heine ! t’as la haine », « Nicolas, fais pas l’Gogol ! »   « Ah ! on s’éclate en compulsant. » C’est ce que disait sa chère petite sœur : « Bon, bah, éclate-toi bien », et la porte se fermait sur le dictionnaire en délire. Tiens, un autre échantillon d’humour compulsien émerge : «Proust pour tous, tous pour Proust!»

 

                          *

   Heureux les lourdauds, car ils tomberont d’eux-mêmes…
Un jour, sa mère rentra dans son bureau d’étude à l’improviste et, à la vue d’un tas de feuilles noircies d’une écriture minuscule, dit à son fils : « Alors ! C’est pour quand le roman qui te rendra célèbre ! » C’était mal compter avec la pensée toute chinoise de son fils : cherche à connaître et non à te faire connaître.  « Appeler la célébrité, est-ce que ce n’est pas appeler le malheur ? », se questionnait le fils qui ne savait trop que répondre et qui lâcha finalement après un laps d’hésitation : «Le roman, c’est pour quand j’aurais cinquante ans !»

     - Ah bon ? Je serais morte alors… Bah, c’est bien la peine ! »
« Désolé de te faire de la peine, maman » se dit-il en regardant avec dépit sa liasse de manuscrits : 9 pages. C’est maigre pour faire un roman. Par contre celle de compulsion présentait à ses yeux plus de perspective : 22 pages il y avait. Il avait toujours rêvé d’un roman de 22 pages avec des milliers de personnages en quête de lecteurs, toutes époques se croisant, s’enchevêtrant, se vase-communiquant autour de la table du dicosaure.
     Le compulseur n’était pas à une extravagance près. Pas radin de ce côté-là. Sa Reine des facultés en avait à revendre. Une fois, il s’était imaginé faire embarquer seul un cahier vierge… Mais n’allons pas mordre le troisième chapitre. Revenons plutôt à son étude proprement dite (puisque étude il y a) :  sa compulsion. Dans la nomenclature livresque, il en allait des écrivains globalement comme les feuilles des arbres suivant leur espèce : il y en avait des simples (tels les acer) et des composées (telles les aesculus). Acer : poète, historien, etc; Aesculus : poète-historien. C’est un peu comme ces rencontres fortuites chères aux surréalistes : comme de l’eau d’une rivière et d’un pneu-bateau. Connaissez-vous le «phil-astro-math» Gassendi ? Et le «math-astro-po» Khayyam ? Quelle passionnante biographie se résume dans cet insolite rapprochement « math-dram » illustré par Echegaray y Ei Zaguiva ! ou dans l’ « océano-polocéano-pol » Nansen. Que dire d’un « théol-phil-po-crit » nommé Herder ou d’un certain « reli-archi-math-phil » Guarano Guarini, ou encore d’un « pol-crit-music-litt » sous le nom d’Herriot. On pourrait aussi faire une étude comparative passionnante entre le « pol-po » Senghor et le «po-pol» Silirus italicus. Quelles combinaisons ! Le compulseur n’en finissait pas d’être éberlué par ces « phénomènes », cette mine de richesse sans fond. Maintenant qu’il était venu à bout de sa vaste compulsion ou compilation, il avait sous les yeux et sous la main un vaste panorama de la Littérature universelle s’étendant comme une mer à ses pieds. Qu’allait-il faire de ce fruit de patientes et fastidieuses recherches ? Le livrer à l’univers. Il l’enverrait comme une fusée sur l’orbite du cœur humain sous forme de synthèse, la seule acceptable, pensait-il, car quel intérêt y aurait-il à donner telle quelle sa liste de noms et d’œuvres associées ? Nul! Aussi, c’était en analyste, en méthodiste qu’il oeuvrait, somme toute en homme consciencieux qui a conscience qu’il ne suffit pas de dévorer pour œuvrer : « Il faut digérer ».  Voilà le fin mot de sa thèse. En conclusion de quoi, son « travail » ne faisait que commencer. Il lui fallait dorénavant, au prix de maint mal de dos, relire sa liste, prendre des notes, relire, prendre des notes jusqu’à épuisement de la liste en substances essentielles à sa « littéro-synthèse », sa thèse. « Mettre le Chaos K.O, mettre les choses O.K », tel était l’ordre que se donnait pour principe et ambition, le compulseur missionnaire… En guise de parachèvement de cet interlude, mettons en avant qu’entre parenthèses, le compulseur n’avait pas peur d’ennuyer sa lectrice, son lecteur ou lectorat (en imaginant qu’il en ait un en dehors de lui) et qu’il n’était pas du genre à s’excuser si cela était (qu’il ennuyait), car l’ennui était selon lui un dada qu’il faut savoir éperonner en poète et évidemment en vaillant chevalier qu’il estimait être chacun et chacune.   
     « Totaux des écrivains par lettre du dico : A : 112 – B : 205 – C : 169 – D : 113 – E : 40 – F : 69 – G : 147 – H :103 – I : 20 – J : 50 – K : 67 – L : 145 – M : 155 – N : 33 – O : 25 – P : 130 – Q : 9 – R :115 – S : 176 – T : 63 – U : 4 – V : 73 – W : 61 –X :1 – Y : 7 – Z :12. TOTAL : 2104 !  Alphabet « écrivesque » dans l’ordre numérique décroissant : B-S-C-M-G-L-P-R-D-A-V-F-K-T-W-J-E-N-O-I-Z-Q-Y-U-X ! » Voilà ce que la sœur du compulseur entendit une fois du dehors des toilettes quand son frère lui avait demandé si elle voulait avoir les résultats de sa compulsion et qu’elle lui avait fait « bon, vas-y… ». – Alors ! (lecture) …
« Mmh-mmh… T’es j’té comme mec, hein ? »   
    Il n’y avait rien de méchant dans cette réaction. On était bien sur le même terrain d’enfantillage familier. Ce comportement infantile était trigonal en comptant le père aussi « pignouf »  que le frère, sinon plus, voir « crétin », dans les termes d’une relation de naturelle copinerie fille-père, fils-père et bien entendue «père-fille», « père-fils ». Nous ne nous étendrons pas sur cet hors-sujet risquant de dénaturer à la longue l’étude du compulseur. Disons pour tirer au clair la carte psychologique du compulseur, au moins, mais sans tomber dans la psychanalogie, qu’en tirant les cartes un matin, il vit comme une adolescence atteinte d’éternité.   

***

                                                                                   Cher S,

  Pour tes 3* ans, je t’offre ce livre pas triste que tu attendais tant pour savoir la suite.
Etre un peu plus sage vaut bien un fromage, même si tu es aussi couillon, pignouf et feignasse. On t’aime comme ça. Moi aussi. Ne change pas.
  Bon âneriversaire, p’tit génie…
                                                                     Ton S qui t’aime

  P.S :  Pense quand même, à défaut de pucelle, à t’offrir une petite p… (souillon!)

Cet autocourrier a une qualité excentrique qui n’échapperait pas à Tristram Shandy lui-même. Il serait plutôt flatté de savoir que ce livre auto-offert était précisément La vie et les opinions de Tristram Shandy, gentilhomme. Serait-il d’une vanité à crier au plagiat ? Peuh ! un gentilhomme qui plagierait un autre gentilhomme ? Ce serait tout bonnement de l’autoplagiat !
  L’autocadeau susdit a une histoire assez branquignolesque pour qu’elle ne soit passée sous silence. Elle fait partie de sa théorie de la « minimiracalogie » ou «l’alogie des petits miracles». Sa compulsion en était bourrée. Plus tard il écrira : «les Minimiracles ou l’apologie de l’alogie». Bienheureux cet inopiné retour à ses découvertes compulsives :
« Malot…  Sans famille (1878) En famille (1893)… Le premier, tout le monde le connaît, mais le second… C’est une blague ! » s’était-il exclamé intérieurement au cours de sa fouille. « Comme quoi il est certains cas où il est plus heureux de s’appeler San Familio que En Familia ! Quel joli coup littéraire. Ça tient du miracle. Oui, y’a vraiment un miracle typical… very typical. Le miracle littéraire ! C’est tout plein mimi ces mini-miracles… » On ne s’étonnera plus de son étonnement le laissant littéralement pantois. Ce genre de micro-miracle propre à émerveiller les gosses lui traçait durablement un sourire enfantin, quasi niais, réponse spontanée, émue comme devant un clin d’œil féminin. L’exemple qui va suivre est éloquent.

   Il fut un temps où le compulseur découvrit Melville, nom auquel se colle immédiatement Moby Dick. Le compulseur, qui était entré dans l’œuvre melvinienne par la petite fenêtre, ou plutôt par la Cheminée, alla un jour à la Bibliothèque de Ihérouashelem s’enquérir de nouvelles Nouvelles. Lorsqu’il put mettre enfi n sa main sur Le Paradis des Célibataires ce jour-là, Dieu ! qu’il était content ! Aussi, il avait pris sous le bras trois autres livres. Content, donc, il se mit dans le car pour le kibboutz à lire (et non lier, merci PC, Pourvoyeur de Coquilles) Cocorico. Et là, que ne lit-il pas ? ! « Je lisais Tristram Shandy, autant dire que je ne pouvais descendre » Là, le compulseur resta un moment scotché sur cette phrase, puis, machinale, sa main alla fouiller son sac, en sortit un grand livre couleur poussin et lut  : Tristram ------------------------------------------Shandy !
? ! ? ! ? ! ? ! ? ! ? ! ? ! ? ! ? ! ? ! ? ! ? ! ? ! ? ! ? ! ? ! ? ! ? ! ? ! ? ! ? ! ? ! ? ! ? ! ? !
?                                                                !               

    L’effet se devine. Mais ce n’est pas tout. Lorsqu’il eut dégusté ce fin mets, un tantinet subversif et en tout curieux et drolatique, sorte d’ovni dans le ciel littéraire du XVIIIème, tartatouille circonvolutionnaire, révolutionnaire, énervenaire, symphonie concertante truculente, avec ses hauts et ses bas, surtout ses bas pouvant aller jusqu’à 400 m au-dessous du niveau de la mer, mais pour culminer ensuite, ce qui est d’autant plus méritant, à des hauteurs de 2814 m, ce qui fait un dénivelé  de 3214 m – precisely –   ce qui est peu, diront les grognons rogommeux, au regard d’un certain monument avoisinant les 9000 m d’altitude, mais qui ne varie guère et qui finit à la fin par manquer d’air… eh bien, notre compulseur eut envie d’écrire la suite, d’achever le monument. « Ah ! ce passage à sept hommes contre une femme  » s’écria le compulseur après avoir achevé de lire ce paragraphe paramilitaire clos par cette conclusion géniale  : « Mais, elle, ne répondit qu’en femme ! »
   En résumé et pour conclure, le compulseur se trouvait être la cible ointe de miracles livresques que ne lui avait jamais offert, par exemple, la téloch – quoique, sans trop se fouler à fouiller sa mémoire, il se rappela qu’un soir, il avait visionné trois fois à la suite la même séquence des Dix Commandements, cette scène phare, pastorale, où Moïse parle prophétiquement à sa femme Madianite, Tsippora, face au Mont Sinaï grondant rouge, trois fois, sans qu’il le commande, et il avait vu là un signe pour lui, pour lui dire qu’il était le guide, le nouveau Moïse qui allait guider, voir téléguider, non plus un peuple oint, mais tous les peuples, oint-oints, dans le pays lacté et mellifère à travers l’aridité du monde, après avoir vaincu pharaons et pharisiens ; à lui, à la langue si lourde, lui avait été donné son Aaron : l’écriture.

    On peut quand même ajouter une information supplémentaire relative à l’autocadeau. C’est que là encore, par la plus singulière coïncidence qui appuya du coup la conviction du compulseur que ce livre le suivait, le traquait presque à la trace, l’édition intégrale en un seul volume devait paraître (lui qui attendait tant la suite que ne pouvait offrir la bibliothèque) quelques jours, oui, à peine une semaine avant son anniversaire fixé à un mois de là. Quelle aubaine !  Il le commanda donc, comme on pouvait s’y attendre, malgré son maigre revenu mensuel. « A évènement exceptionnel, exceptionnelle folie ! », s’autodéfendait-il pour s’autoriser ce téméraire achat. En conclusion de la chose, il eut la chose, et le jour J de la réception, il se sentit toute chose avec son volumineux et pesant fantasme sous le bras. Il l’avait son gros poussin ! Le poussin intégral…
   C’est ainsi que le compulseur en vint à s’écrire la petite lettre que l’on connaît. Quant au « P.S », c’est sans commentaire.
Tristram Shandy ! que de jubilation muette à ce nom ! Quoique muette, ce ne fut pas toujours le cas.
  Témoin cette scène provoquée par un emballement un peu excessif, qui survint à la « bibi chérie » de Ihérouashelem (que nous abrégerons à présent par la terminaison « Shelem ») : « Vive Tristram Shandy ! », entendit-on crier tout à coup dans le champ des livres silencieux. Triomphant, il brandissait le livre, tandis que tous les visages le dévisageaient. Même les étudiantes soulevèrent leur voile. Et lui de plus belle : « Vive Tristram Shandy ! » On s’envisagea, le mot passa dans un murmure comme une vaguelette sur la grève. Alors ce fut l’esclaffade générale. Tous applaudirent, puis à l’unisson ce fut l’hosanna : « Vive Tristram Shandy ! » En l’espace d’un bref moment, la bibliothèque nationale s’était vue pour la première fois transformée en cours de récréation ou en joyeuse fête du Purim. Puis, il y eut une chute de livres, suivie par un « chut » non moins général, renvoyant chacune et chacun dans la normale dimension. Histoire frapadingue, aucun lieu d’en douter, mais aussi vraie que vous vous êtes adonné à ce livre loufoque (un de ces livres que votre mère qualifierait d’idiot) dont vous ignorez uno le sens, deusio la fin, troisio… ce qui vous chantera d’ignorer. 
    Présentement, il serait grand temps de retourner à l’étude, à la compulsion. Une bonne digression – le saviez-vous ?  – est toujours régressive – vous le savez. Les digressions sont comme les moutons ou plutôt les brebis égarées de la Bible (ce Livre de livres) : il y a plus de joie dans le Ciel pour une seule égarée qui a été retrouvée que pour les quatre-vingt dix neuf autres qui n’ont pas besoin de se perdre pour se trouver. L’histoire provençale de la bique de Monsieur Daudet est éloquente sur ce point. Tandis qu’à ce point-ci – n’entendez vous pas ? –  notre troupeau de mouton bêle en chœur pour qu’on aille les retrouver. Sapristi de saperlipopette de saperlotte ! – Be^e^e^e^e (notre onomatopée, signe de notre venue, a comme on le voit tendance à la nonchalance : les accents circonflexes ont un temps de retard) – B^^e^^e^^e^^ (ici, à l’inverse, nette inclination à l’emballement avec deux temps d’avance) – B^^^^^^^ (là, y’a comme un blocage, ça flotte) – Beeeeee ( comme rot, c’est pas mal… allons un effort !)  – Bêêêêêê$ (nettement mieux : correction juste à temps du S qui prêtait à équivoque) – Bêêêêêê (Parfait ! beau crescendo, départ bien marqué, fin tranchée nette dans sa hauteur). Bravo mouton ! (enfin de retour au bercail…). Allons, bêlons des hallelouyah  pour ce salut. Ah ! l’inspiration ! Comment se remettre dans le bain de la compulsion ? Rien de plus aisé : il suffit de plonger.
Plouf !…

- STANEF !
-  Quoi !
-  A table ! On mange !

  Ça n’avait pas fait un pli : à cet appel huché de la cuisine, Stanef se plia sans se faire prier et, le cafouillis de papiers compulsifs laissés à l’abandon ou plutôt en vacance, quitta son « pigeonnier » pour descendre les escaliers quatre à quatre, aussi véloce que l’écureuil devant la perspective d’une noisette d’amour. Autour de la table mise et garnie d’un plat de carottes râpées que supplantaient les émanations de couscous-maisoncous ou couscous-maman avec son fumet d’agneau, se trouvaient assis, chacun à sa place, tous les membres de la famille : la mère, chef du foyer plein d’attention, le père, docile doyenneté remplie de serviabilité et clownerie potentielle, le petit frère, beau gosse charmant par ses rots performants et chieur de service à l’occasion, la sœurette, pipelette spécialiste des passages spontanés d’un registre comique à un registre hystérique, auxquels personnages il faudrait ajouter deux frères ayant quitté le nid familial, et donc absents de la tablée dînatoire. Il n’y manquait plus que Stanef, notre compulseur et « pignouf » de la smala. Le voici qui pupule en arrivant:
-  A la… soupe !
-  A la carotte !
-  Cous-cous !
-  Carotte !
-  COUS…
-  Aïe ! Gros con…
-  Bon, allez, du calme, les enfants. Alors, Stanef, il avance ce roman ?
-  Ouais… Bof…
-  C’est bof comme réponse, ça…
-  Je dirais même mieux : c’est bof-bof !
-  Attends… Attends… Je vois bien le titre : « bof, c’est bof »
-  De chez Bof !
-  Ah ouais ! Bof, c’est bof par Bof Bof
-   Ça vous amuse de vous foutre de ma gueule ?
-  Bah-i !
-  OU-OU-I…
    Sur cette réponse rotée du frère – venue du fond du cœur – et que l’expression badine de la sœur (« bah-hi ») avait inaugurée, celle-ci gloussa de la prouesse tandis que lui rigolait de sa propre bêtise et que le père s’écroulait de rire sur la table, le visage tout en tomate, le corps secoué devant la mère s’efforçant de garder son sérieux en bonne maîtresse au milieu de ses gamins… Et Stanef ? il ne put, quant à lui, étouffer son rire ravageur. Quelle ambiance!
  Ce dialogue venu de nulle part, extra-romanesque à la sauce burlesque, grotesque, rocambolesque, répond probablement à un inconscient désir personnel et public. Tout comme le compulseur, on avait besoin d’un peu d’air. Ce livre en avait lui même besoin. Il ne s’agit pas de lui donner un faux air de roman, mais bien de lui donner de l’air par la méthode la plus traditionnelle : le dialogue. Et qui dit dialogue dit quoi ?… Communication ! Communiquer, c’est tout. Or, rien de plus facile à l’abord. En général, dans la famille, ça en déborde…
  Stanef le compulseur qui avait été arraché sans mal de ses recherches tripantes pour bouffer sa ration de carotte et de couscous, se recolla sans mal à celles-ci. Bouffe-café-pipi-caca, et le revoilà reparti ! C’est donc avec autant d’entrain que nous allons nous remettre à la page.
  Il est à parier pascalement qu’il y a une attente d’étude plus poussée, plus systématique de sa part en matière d’archéologie littéraire. Pour sa part, l’archéologue en littérature ne s’en trouve pas là, au grand dam de ses fans. En effet, plus cafouilleur dans ses fouilles qu’on ne pourrait le croire, moins exigeant envers lui-même, envers ses compétences, comme envers un hypothétique produit final qu’on peut l’estimer, il va à tout-va, aussi capricant qu’un baudet l’est –  plus qu’une chèvre –  à la marche « comme sur des roulettes ». Nul ne se chargerait de l’aiguillonner, encore moins de le fouetter d’une verge comme il est, hélas, le plus souvent nécessaire à ces bêtes rétives si l’on veut obtenir d’elles un minimum de rendement. Evidemment, si l’issachar qui est le baudet de la « Terre Sainte » doit vous mener avec tout l’attirail de Shelem au Jourdain, et si comme Balaam avec son ânesse vous vous mettiez à le frapper comme il s’apprête à le faire ici…

B_1
Le prophète Balaam et l’ânesse - Rembrandt

… Il est plus que vraisemblable que celui-ci se mettrait miraculeusement à protester :
L’ANESSE (le compulseur) : « Que t’ai-je fait que tu m’aies battue ces trois fois ? »
BALAAM (vous) : C’est parce que tu t’es joué de moi. Tu ne t’es pas contenté de dévier dans un champ, tu m’as serré le pied contre le mur. Il ne t’a pas suffit de me mettre contre le mur, tu t’es couché ! Si j’avais une épée à la main, je te tuerais à l’instant.
LE COMPULSEUR : Ne suis-je pas ton ânesse, que tu as toujours montée jusqu’à présent ? Ai-je l’habitude d’agir ainsi envers toi ?
TOI : Non.
Ici, comme dans la Torah ou Pentateuque, un ange de « Dieu » s’ajoute au nombre des interlocuteurs. Il tient une épée dans sa main.
L’ANGE (l’Inconscient universel) : Pourquoi as-tu frappé ton ânesse ces trois fois? C’est moi qui suis sorti pour t’arrêter, car à mes yeux, le chemin que tu suis te mène à la ruine. L’ânesse m’a vu ; et elle s’est détournée devant moi ces trois fois ; si elle ne s’était pas détournée devant moi, je t’aurais tué, toi, et je lui aurais laissé la vie.
LE COMPULSEUR (redevenu lui-même) : Han-hi ! Han-Hi ! Han-Hi !
TOI : Pardonne-moi. Je ne savais pas qu’un ange te gardait. Et, maintenant, si cela te déplaît, je m’en retournerai.
LE COMPULSEUR : Hi-Han ! (oh non !)
Et c’est ainsi que la bêtise des hommes peut tirer profit de l’intelligence des bêtes. Allez, pactisons.

PACTE D’AMITIE ET DE FIDELITE

Je ne te lâcherai pas jusqu’à la fin

Signature de Balaam :                                        Signature de l’ânesse :

 

 

  Amie, ami, Seigneur de l’Anesse, voici les dernières fouilles et trouvailles du compulseur au retour dans son pigeonnier, le ventre bourré de carottes et de couscous. Notre parangon a de la curiosité à revendre, et davantage encore : des curiosités à partager. Il s’est ainsi accordé un temps iconographique, un feuilletage de lycéens ouvrages sur la littérature, abondamment illustrés de peintures, gravures, dessins… à dessein de dégoter des images illustrant l’écriture ou ce qui est davantage vrai : l’écrivain dans l’ « Art ». Remarquez que cette quête à l’improviste fut amorcée par la vision dans son dicosaure du « théo-phil » (théologien philosophe peut-on traduire) Saint-Augustin, détail d’une fresque peinte par Botticelli en 1480 et visible dans l’église d’Ognissanti de Florence que nous reproduisons ici comme point de départ de son «enquête-quête» dont il est bien difficile de définir le but puisqu’elle est, de but en blanc, jouissive et gratuite. Voir, c’est tout.

  Il vous invite à rentrer dans son regard et voir avec lui quelles correspondances, quel dialogue, souvent insolite, se tisse entre deux images.
  Voyez donc. Le « bal à âme » est ouvert ! (même aux "non-voyants")

 

B2_Capture_1
St Augustin - Botticelli

Ce premier face à face a lieu entre le portrait de Saint-Augustin et...  Minute! D'abord, regardons de près le saint. On le voit debout, enfin on dirait, car en fait il est bel et bien assis l'auguste saint. Il est vu en contre plongée. Sa main gauche tient son encrier noir à l'intérieur duquel est planté une plume d'oie. Sa main droite qui devrait écrire est comme crispée ou aggripée au coeur. Un front sourcilleux, un regard implorant et une bouche contractée par une boule au fond de la gorge répond à cette tension. Sur son chef, on distingue très mal une calotte (et non une culotte) blanche. Elle pourrait s'ajuster à l'horloge mécanique cachant  en partie l' imposant incunable ouvert, grimé d’écriture et de dessins géométriques dans ses marges. Entre ce port solennel, bien qu’incliné, du « Docteur de la grâce », la sincérité et la gravité des sentiments et le portrait qu'on lui appose (ah! enfin!) en la personne de Laurence Sterne, de presque trois siècles son cadet et peint par son compatriote Sir Reynolds, quel saisissant contraste!

 

b3_Capture_1
Laurence Sterne - Reynolds

  Voyez cette désinvolture, cette malice. C’est à peine si ce m’as-tu-vu ne se fout pas de notre  gueule, avec sa bouche boudinée qui nous nargue jusqu’aux oreilles dissimulées sous le postiche, son nez d’aigle à piquer des gaufrettes, et ses yeux – ces yeux!– tout de malice, on l’a dit, mais encore inquisiteurs, et même, ne boudons pas le mot, un tantinet pervers… Pointez du regard son doigt : « Ah ! y’en a là-dedans ! » semble-t-il nous dire, appuyant ce dire par une main sur la hanche de guingois, déhanchement que prononcent ses jambes croisées qu’on imagine longues et anguleuses. Et envisagez donc ce coude appuyé sur une liasse de manuscrits – à n’en pas douter un extrait de son satané Tristram Shandy ! (oui, le poussin!) Quel fossé avec Saint-Augustin ! D’un côté, un enfant de Dieu, de l’autre un enfant du diable… Suffit. Ne nous emballons pas. Considérons-le sous un autre angle : il ne nous toise pas, il se mire dans sa glace. Cela ne nous le rend-t-il pas plus sympathique ? Considérez-le venant d’abandonner son activité de génie pour se tourner vers son miroir et se faire : «Je t’aime », « T’es génial » ou encore : « Salut beau gosse ! », ou bien, dans un élan spontané d’autodérision amusante : «Sacré-toi !», « T’es un drôle de type quand même… », « T’en fais d’un coquin, mon couillu cochon! », « Fanfaron, va ! »… On l’a vu se transformer sous nos yeux. Il est devenu d’une truculence charmante, d’une goguenardise séduisante, d’une familiarité touchante.
Now, maintenant, a-a mi-mies, regar-dez-dez Le lever de Voltaire par Jean Huber. Portrait caricatural du même siècle but not english: french! Cocorico!

B4_Capture_1

Le lever de Voltaire  de Jean Huber

  Qu’y voyez-vous ? Un beau coq... ou disons le philosophe des lumières par excellence dans une position plutôt incongrue pour un "file aux oeufs", du moins atypique à son image, surprenante dans tous les cas au regard de Mademoiselle Raison. De fait, nous le surprenons dans son intimité, la plus quotidienne, la plus triviale, et ce, pour notre bonheur. Cet tableau est l’œuvre d’un caricaturiste de génie qui fut avant tout un autodidacte aux multiples dons et compétences : silhouettiste, épistolier, poète, musicien, dessinateur, fauconnier… et joueur d’échecs réputé imbattable et contre lequel se disputa en vain Voltaire qu’il appelait le « patriarche de Ferney », devenant enfin son ami…et son cobaye ! Mais, ces « Voltairiades », comme les appela son auteur, ne manquèrent pas, on s’en doute, de chiffonner l’amour-propre du philosophe qui ne put que se défendre ainsi après s’être brouillé un moment avec son bienveillant voltairieur : « Ma nature est de pardonner à ceux qui m’ont rendu ridicule par des caricatures »…
 
« Minute, papillon ! Je croyais que le compulseur était en quête de portraits d’écrivains écrivant ! Et là qu’est-ce qu’on me pond ? de la salade ! Tu te fous de ma gueule ou quoi ? »
    – Une seconde, mon ami(e) !
So,  what we can see on the picture ? (Donc, que pouvons-nous voir sur l’image?). Nous pouvons voir un homme dans à peu près la pose d’un flamant rose qui enfilerait sa culotte, un homme pressé entre deux attentes, celle d’un secrétaire prêt à noter de sa plume les premiers mots qui sortiront de la bouche du Maître-penseur, et celle de son chien ou sa chienne frétillant de la queue et levant une patte, moins par mimétisme sans doute que signe d’impatience à recevoir son câlin ou sa pâtée matinale à moins que ce ne fut d’accomplir ses besoins matinaux, exprimant en tout cas sa joie de voir son maîmaître éveillé en témoignant une vive excitation à la vue de son court-falzar rouge.
Parangonnez ce tableau mordant de vie, d’une composition allègre et parfaitement équilibrée avec cet autre portrait de lui d’un peintre inconnu : Voltaire écrivant.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Publicité
Commentaires
Histoire de plume, plume de lune
  • Stéphane Gentilhomme, 39 ans : UN POÈTE français du XX-XXIème , UN ÉCRIVAIN aux multiples quêtes (de forme et de fond) et plein d'humour. UN ARTISTE panaché qui explore l'âme et différents étages de l'être. Public Ad 90% , E, 10%)
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Newsletter
Publicité